jeudi 30 mai 2013

La slow attitude ou l'art de débrancher


En quelques années, la tendance de la sieste s’est imposée en douceur : un rituel délicieux .
Slow Food et Citta Slow en Italie, la Fondation Long Now aux Etats-Unis, le Sloth Club au Japon... Depuis deux décennies, les mouvements et groupes à la gloire de la décélération essaiment. Tous nous invitent à remettre nos pendules à l’heure du temps compté, à réécouter le tic-tac de nos horloges biologiques, à retrouver le rythme de nos besoins physiologiques. Bref, à débrancher : son téléphone et son ordinateur le week-end, le micro-ondes la semaine, la boulimie d’activités tout au long de l’année...
Prendre son temps n’est pas incompatible avec les impératifs d’un XXIe siècle pressé. Il suffit d’énumérer les bienfaits d’une sieste quotidienne pour s’en convaincre. Meilleures productivité, concentration, humeur, santé physique et mentale... tout est bon dans le roupillon ! D’ailleurs d’illustres personnalités y ont sacrifié, pour le plus grand bien de l’humanité : Léonard de Vinci, Hugo, Napoléon, Edison, Einstein, mais aussi Churchill, qui ne prenait pas de décision importante sans une mégasieste, Dalí, champion toute catégorie du micrododo, ou Gide, qui y consacrait deux heures par jour, comme nous l’apprend Jacques Chirac dans sa préface d’Eloge de la sieste, l’un des premiers ouvrages sur le sujet.
Pour l’auteur, Bruno Comby, dont un précédent livre avait permis à Jacques Chirac d’arrêter de fumer, « notre vision binaire de la vie, qui consiste à agir le jour et dormir la nuit, va à l’encontre des lois de la physique. Ce n’est pas si simple, nous avons besoin d’interrompre la veille. Nous avons tous les moments perdus à mettre à profit pour nous reposer, une sieste ne s’accompagnant pas nécessairement d’une perte de conscience ». Et le meilleur moment pour piquer un somme reste la mijournée.

Dormir plus pour se porter mieux
Le terme de sieste ne vient-il pas, après tout, du latin « hora sixta » – la sixième heure du jour ? Pour le docteur Eric Mullens, auteur d’Apprendre à faire la sieste (Editions J. Lyon), c’est un médicament à prescrire sans modération. « Au niveau comportemental, dix-sept heures d’éveil continu ont les mêmes effets que l’absorption de 0,5 gramme d’alcool par litre de sang, 24 heures sans sommeil revient à ingérer 1 gramme d’alcool par litre de sang. On sait que la privation de sommeil a des effets désastreux sur la tension artérielle. Et l’on connaît aussi sa relation à l’obésité, car elle favorise une faim de sucres rapides. Faire une pause, c’est respecter sa machine. » 

Les adeptes de la sieste ne s’en vantent pas. Encore trop souvent, elle prête à la raillerie et continue de promener le cliché du Latin paresseux fermant les persiennes à l’heure où le soleil cogne. « Mais ça change, estime Bruno Comby, moins chez nous d’ailleurs qu’en Europe du Nord et au Canada, où elle est mise en avant pour son action positive sur le rendement.
Aux Etats-Unis, quelques pionniers tentent de convertir les travailleurs surmenés, dopés au régime caféine-somnifères. À New York, Nicolas Ronco impose son concept dans la capitale des surbookés : le YeloSpaet ses YeloCab, des alvéoles zen où prendre une pause sur un fauteuil conçu pour une position foetale – la meilleure paraît-il –, immergé dans le son et la lumière que l’on s’est choisis. L’isolement est total.
Des sociétés s’y sont converties, comme Time Warner ou Yahoo, qui payent pour partie l’abonnement de leurs salariés. « Les mentalités n’étaient pas prêtes à tolérer la sieste sur le lieu de travail. Même dans les entreprises progressistes qui disposent de coins repos, les salariés ont peur de passer pour des fumistes », raconte le Frenchie, enfant de la Méditerranée, où le repos méridien est une nécessité. Lorsqu’il s’installe à New York, il conserve ses habitudes et rentre chez lui, à l’heure du déjeuner, fermer les yeux quelques minutes. « Dès lors, je m’aperçois que je suis la seule personne encore vivante au bureau entre 15 et 17 heures. » Puis il découvre la Corée et le Japon, des pays de bosseurs, mais où l’on sait s’arrêter.


Les mérites de la sieste
En Chine, la sieste est même inscrite dans la Constitution comme un droit pour les travailleurs. « Empiriquement, j’en connaissais donc les mérites, avant même de m’intéresser aux données scientifiques. D’où il ressort qu’une sieste de vingt minutes trois fois par semaine diminue de 37 % les risques de crise cardiaque. Le risque tomberait même à 52 %pour les hommes de plus de 50 ans qui doivent faire face à des responsabilités. » Pour parachever le triste tableau d’un monde qui ne dort pas, il faut rappeler que les plus grandes catastrophes de notre temps, Three Mile Island, Tchernobyl, la navette Challenger... ont pour cause un manque de sommeil et les mauvaises décisions qui en ont découlé.
En France, quelques idées surgissent ici ou là. Des sociétés comme Leblon-Delienne et depuis peu France Télécom proposent des pauses post-déjeuner à leurs employés. L’hôtel Murano, à Paris, inscrit à son menu une formule « In Bed with Murano », avec la mise à disposition – après un lunch–d’une chambre pendant une heure, une recette appréciée des chefs d’entreprise en jet-lag et des stylistes épuisés par les Fashion weeks. Nid douillet ou ultra-design, le hamac inspire la création Côté création, les designers planchent sur la position horizontale dans le sillage de Richard Buckminster Fuller, inventeur du concept Dymaxion et d’une combinaison isolante, antiphonique et ergonomique à enfiler comme une chrysalide. 

Pour résumer, qu’elle soit royale (plus de 40 minutes), flash (moins de 5 minutes) ou standard (20-30 minutes), qu’elle soit quotidienne ou pratiquée trois fois par semaine, la sieste est un outil merveilleux pour préserver son moteur et mettre un coup de turbo dans son diesel fatigué. 
De quoi inspirer à un fabuliste contemporain cette morale de l’histoire : « Vous travailliez ? et bien dormez maintenant ! »

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